06/09/2012
Histoires à courir le monde
Ils sont cinq, deux filles : (Evelyne El Garby Klai, Magali Genoud), et trois garçons : (Amaury de Crayencour, Eric Herson-Macarel, Régis Vallée). Ils portent un pantalon sombre et un débardeur blanc. Ils sont assis sur des tabourets, et regardent les spectateurs s’installer. À cour, un portant avec des costumes (Marion Rebmann), au fond, un tableau noir.
Attention, ils vont commencer ! Et là, une fois partis, ils vont jouer trente-quatre personnages, dans dix-huit siècles différents, de Linchamps, (dans les Ardennes) au sud saharien en passant par Paris, Marseille et Villers-Cotterêts.
Dans la lignée des grands feuilletons à coups de théâtre, poursuites, travestissements, révélations, manuscrits, tombe à secrets, cercueil sans cadavre mais trésor enfoui, l’auteur, Alexis Michalik utilise tous les rebondissements. Sa mise en scène fluide et des comédiens aguerris conduisent un public haletant qui frémit à toutes les embûches.
On aimait Alexandre Dumas, lui aussi. Il va nous le faire revivre. Il en fait l’inspirateur de son « histoire », le plaçant face au prince de Polignac, ministre de Charles X, et leur mettant en bouche ces deux fameuses répliques :
Polignac : — Au fait, cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?
Dumas : — Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit. »
Ce n’est pas exact ? non plus que la date de sa première rencontre avec Hugo ? mais qu’importe qu’il viole l’Histoire puisqu’il lui fait un bel enfant ! : ce Porteur d’histoire qui, après un triomphe dan le off d’Avignon, s’installe au théâtre 13 jusqu’au 14 octobre.
« Chacun porte en soi une histoire », dit Martin, le porteur d’histoires, un des personnages créés par Alexis Michalik qui lui, en porte des milliers. L’action commence en juin 2001, par la recherche du père, la rencontre avec la mort, et la découverte du savoir. Les histoires à courir le monde commencent ainsi. Quelquefois, elles deviennent des épopées...
Martin va plonger dans l’Histoire, à la recherche de la famille des Saxe de Bourville, qui elle-même recherche les lysistrates. De siècle en siècle, les personnages explorent les années 1832, 1822, 1666, 1778, 1870, 1792, 1348, 258, et j’en passe sûrement… La bibliothèque d’Adelaïde Antès (oui comme Dantès, mais sans le D des Dumas) vous confirmera tout ce qui est raconté, elle contient toutes les belles histoires du monde.
L’essentiel est d’y croire, et de ne « jamais cessé d’aimer ». D’ailleurs, j’ai vérifié, Linchamps existe, et il y a une maison du XVIIe siècle à vendre !
Photo : Julien Lemore
Le porteur d’histoire d’Alexis Michalik
Théâtre 13
01 45 88 62 22
mercredi, vendredi à 20H30 | mardi, jeudi, samedi à 19H30 | dimanche à 15H30.
Jusqu’au 14 octobre
12:04 Écrit par Dadumas dans Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, théâtre 13 | Facebook | | Imprimer
07/09/2011
Une fraternelle épopée
Les rives de la Méditerranée ont accueilli des peuples de toutes nationalités, de toutes religions, et il y eut des villes cosmopolites, dont le seul nom évoque des brassages de cultures, des mélanges de races, des terres de tolérance. Aujourd’hui, si d’aucuns agitent l’immigration comme un épouvantail, d’autres par leurs vies et leurs œuvres témoignent de la fraternité possible.
Quand Amin Maalouf crée le personnage d’Ossyane (qui signifie « insoumission ») pour Les Échelles du Levant, il retrace le parcours des siens : une mère venue d’Istanbul, un père de Beyrouth, une enfance en Égypte. Mais s’il s’en inspire, il l’inscrit plus avant dans l’Histoire. Il fait commencer la saga des Ketabdar en Turquie, dans la tragédie du génocide arménien, la conduit au Liban pendant le mandat français et la naissance de la République, en France pendant la seconde guerre mondiale, et entre la Palestine et Beyrouth pendant les guerres du Moyen-Orient.
L’adaptation du roman, sous le titre d'Ossyane conduit à une profonde réflexion sur les guerres fratricides et la lutte des peuples pour la liberté. Grégoire Cuvier, le metteur en scène en est l’adaptateur, il dessine les tableaux d’une fresque où le héros refuse toute haine, sombre devant l’implacable ennemie avant de trouver le « chemin de la résilience. » Dans cet exercice, les personnages secondaires souffrent un peu, les longues luttes pour l’indépendance et la paix sont à peine esquissées.
Le spectateur français comprendra mieux la période située dans la France des années 40, il a ses repères. « Je suis né dans une région du monde où les occupations se sont succédé » dit pudiquement Ossyane qui n’aura jamais un mot contre La France qui pendant vingt ans y exerça la sienne. Car il s’agit de réunir les hommes de bonne volonté pour vivre dans un monde sans guerre.
Olivier Cherki incarne Ossyane, narrateur et acteur de la fraternelle épopée. Il endosse avec justesse un rôle exigeant, d’homme d’action à la fois déterminé et fragile. Avec lui deux femmes, Christiane Braconnier (Iffet la sœur, Danièle la militante), Audrey Louis, (la mère, puis Clara la résistante puis l’épouse, puis la fille), rendent vivants des rôles fragmentés. Jean-Marc Charrier en père bienveillant dont « l’inconscience crée des miracles », se métamorphose en Salem, le fils obscur avec subtilité. Yvon Martin Christophe Chêne-Cailleteau assume sans faiblir de multiples silhouettes. Et Stéphane Temkine impose avec fermeté les différents personnages qu’il joue.
Pas de décor, quelques accessoires, et le plateau dépouillé peut passer d’un pays à un autre, d’un lieu à un autre, d’un temps à un autre. Les changements se font à vue, le rythme est bien maîtrisé. Quelques images de ruines et de peuples en exode précisent les passages.
Ossyane devint Bakou (« l’avenir »), dans la clandestinité. Ce sera le nom de son petit-fils, né dans un autre hémisphère, loin de l’Orient dévasté, et résurrection de l’Espoir.
Il ne faut pas désespérer des hommes. Ossyane l’affirme et Amin Maalouf vient d’être élu à l’Académie française : il occupera le fauteuil de Claude Lévi-Strauss.
Photos : Christophe Henry
Ossyane d’après Les Échelles du Levant d’Amin Maalouf
Adaptation de Grégoire Cuvier
Théâtre 13 jusqu’au 16 octobre
01 45 88 62 22
23:03 Écrit par Dadumas dans Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : amin maalouf, théâtre 13, grégoire cuvier | Facebook | | Imprimer
09/09/2010
Une leçon de théâtre
La répétition d’une pièce s’apparente au mystère sacré. Comment le metteur en scène, à partir d’un texte, peut-il créer ? Tel un dieu devant le chaos originel, il sépare les éléments puis les réunit pour en montrer l’ordonnance et l’imbrication.
C’est à ce miracle que nous assistons avec L’Épreuve de Marivaux, où la metteuse en scène (Sophie Lecarpentier) dirige la lecture à la table, écoute les propositions, modifie les costumes, règle les lumières, organise les déplacements, corrige les maladresses, gourmande les paresseux, afin de présenter un tout cohérent.
La troupe est jeune, et tous ont l’âge de leurs rôles, sauf Madame Argante (Solveig Maupu, qui signe aussi la photo) qu’il faudra vieillir. On jouera en costumes contemporains. Lucidor (Xavier Clion) aura un club de golf comme accessoire, et les pantalons d’un blanc immaculé donneront la note aristocratique. La « folie » du XVIIIe sera plutôt cubique, avec quelques références aux tableaux d’Hopper, dans la couleur et les lignes.
Chaque comédien présente son personnage, sa situation sociale et ses références à aujourd’hui. C’est habile, et le jeu de Marivaux se double d’un jeu pédagogique sur l’œuvre, et sur le métier de comédien. Lisette (Hélène Francisci) cherche encore ses marques, Angélique (Vanessa Koutseff) a besoin d’explications, Madame Argante (Solveig Maupu) éclate en sanglots, Emmanuel Noblet (ou Stéphane Brel) en font trop, Maître Blaise (Julien Saada) tire vers le grotesque.
Et au bout de toutes ces hésitations, reprises, détours, colères, la pièce sort de sa gangue. Les comédiens jouent juste, et les spectateurs ont pris une excellente leçon de théâtre et de modestie.
photo : Solveig Maupu
L’Épreuve de Marivaux
Théâtre 13,
jusqu’au 17 octobre
0145 88 62 22
17:34 Écrit par Dadumas dans éducation, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, marivaux, théâtre 13 | Facebook | | Imprimer